CYBERNÉTIQUE - Cybernétique et psychologie

CYBERNÉTIQUE - Cybernétique et psychologie
CYBERNÉTIQUE - Cybernétique et psychologie

Depuis les travaux de von Neumann et Morgenstern sur la théorie des jeux (1944), de Wiener sur la régulation (1948), et de Shannon sur la théorie de la communication (1948), l’informatique et la cybernétique ont accompli des progrès rapides et considérables, qui ne pouvaient manquer d’exercer une profonde influence sur le développement de la psychologie scientifique et spécialement de l’étude des processus comportementaux très complexes. Les psychologues, pas plus d’ailleurs que les neurophysiologistes, ne pouvaient rester indifférents à l’élaboration d’un ensemble de notions théoriques et de méthodes mathématiques qui, alliées à une technologie avancée dans le domaine de l’électronique, permettaient de concevoir des systèmes doués d’une apparence de spontanéité qui semblait bien jusqu’alors le privilège du vivant, ou capables d’exécuter des tâches si complexes qu’elles semblaient devoir rester à jamais l’apanage de l’intelligence humaine. C’était d’ailleurs bien le projet de la cybernétique, dès ses débuts, de jeter un pont entre le vivant et le non-vivant, d’expliquer les manifestations de la vie en les imitant par des modèles.

1. L’organisme vivant comme système

La psychologie expérimentale est basée sur l’observation du comportement: on place l’organisme vivant dans un environnement contrôlé, et on examine les variations du comportement en fonction des variations du milieu. On formule ensuite des théories sur le fonctionnement de cet organisme, susceptibles de rendre compte des lois ainsi découvertes. Par-delà le stimulus et la réponse, l’investigation porte donc sur l’organisme, variable intermédiaire, que l’on vise à connaître à partir de ses performances. C’est ce que traduit le schéma classique: stimulationorganismeréaction.

La cybernétique intéresse le psychologue tout d’abord en tant que science des systèmes, de leur structure, de leur variété, de leur organisation. L’organisme et le milieu peuvent en effet être décrits comme des systèmes en interaction, en entendant par «système» un ensemble de dimensions susceptibles de présenter divers états. En l’occurrence, la notion de dimension ne se confond pas exactement avec celle de variable; elle désigne un groupe de variables que l’on désire identifier au sein d’un système plus vaste (hypersystème), et qui forment à leur tour un système plus réduit (hyposystème).

Les dimensions d’un système naturel ne sont généralement pas indépendantes, mais parfaitement ou partiellement «corrélées»; on veut dire par là que les états d’une dimension présentent une relation au moins statistique avec les états d’autres dimensions, si bien qu’une modification de l’une entraîne des répercussions en chaîne. L’ensemble des relations entre les dimensions d’un système définit son niveau d’organisation ou d’intégration. La théorie de l’information permet de quantifier la variété d’une dimension, qui dépend du nombre d’états possibles et de leurs probabilités, et la variété d’un système, qui dépend du nombre et des probabilités des combinaisons. Dans la mesure où la structure est intégrée, certaines combinaisons peuvent être exclues, ou en tout cas moins probables; on voit que l’organisation tend à réduire la variété du système de manière à la maintenir en deçà de la variété maximale.

Il apparaît donc que l’organisme vivant peut être défini comme un système de structure pyramidale, c’est-à-dire organisé à de nombreux niveaux. On peut en dire autant du milieu qui l’environne, et qui peut d’ailleurs être composé d’autres organismes semblables. Organisme et milieu forment ensemble un hypersystème, dont le couplage et l’intégration constituent l’objet des sciences du comportement.

2. Le système nerveux comme canal de communication

La cybernétique a toujours accordé une attention particulière aux systèmes dont le couplage avec d’autres est assuré par des hyposystèmes spécialement organisés à cet effet, c’est-à-dire munis d’organes d’entrée, par lesquels ils subissent l’influence d’autres systèmes, et d’organes de sortie, par lesquels ils exercent une influence sur d’autres systèmes. Entre ces deux pôles le système central est considéré comme une «boîte noire», dont le fonctionnement peut être décrit en définissant les relations entre les états d’entrée et les états de sortie. De telles équations sont dites «fonctions de transfert».

Or, justement, parmi les grands hyposystèmes dont se compose l’organisme vivant, le système nerveux, qui intéresse particulièrement le psychologue puisqu’il commande le comportement, présente ces particularités. Il possède des récepteurs sensoriels en guise d’entrées et des effecteurs moteurs en guise de sorties. Par leur intermédiaire, il est couplé de part et d’autre avec les différentes parties de l’organisme (milieu interne) et avec l’environnement (milieu externe). Le système nerveux central fait figure de «boîte noire». On peut dès lors préciser davantage l’objet de la psychologie scientifique, en disant qu’elle a pour mission d’étudier les fonctions de transfert de cette «boîte noire».

Lorsque l’état d’un système est influencé par l’état d’un système voisin, on dit qu’il y a transmission d’information ou communication. Mais les systèmes émetteur et récepteur sont souvent couplés par l’intermédiaire d’un transmetteur, c’est-à-dire d’un troisième système, muni d’entrées et de sorties, et dont la boîte noire apparaît ainsi comme un canal de communication. L’information est transmise par ce canal dans la mesure où les états de sortie sont fonction des états d’entrée; elle l’est intégralement s’il y a correspondance bi-univoque (fig. 1). Mais, pour pouvoir être transmise, l’information doit être codée au moyen de signaux adaptés à la nature du canal; c’est pourquoi l’entrée d’un système de communication est généralement pourvue d’un système de recodage, et de même la sortie. Il faut noter encore que tous les canaux présentent une capacité limitée, qui tient au nombre de combinaisons possibles entre des états d’entrée et des états de sortie et à la rapidité des opérations.

Le système nerveux peut être conçu comme un tel système de transmission. La stimulation est source d’information en provenance du milieu externe ou interne; les messages, codés primitivement en signaux électromagnétiques, mécaniques, chimiques, atteignent le cerveau par les nerfs afférents après avoir été recodés en influx nerveux par l’organe sensoriel approprié. À l’autre bout, la réaction est un transfert d’information vers le milieu, sous forme de messages qui quittent le cerveau par les nerfs efférents et qui, d’influx nerveux, sont recodés au moyen des organes moteurs. Entre ces deux pôles d’entrée et de sortie, le système nerveux central apparaît comme un canal de communication ou plutôt comme un ensemble de canaux qui sont autant d’hyposystèmes intégrés.

3. Le cerveau comme régulateur

Science générale des systèmes, la cybernétique est souvent définie, dans un sens plus restreint, comme la science des systèmes autorégulés ou finalisés, c’est-à-dire organisés en fonction d’un résultat; et c’est surtout à ce titre qu’elle intéresse le psychologue.

Il faut remarquer qu’un système finalisé est en fait un hypersystème, composé du couplage d’un système régulé avec un système régulateur. La sortie du système régulé est couplée en outre avec un système extérieur sur lequel celui-là doit exercer une action déterminée; son entrée est connectée avec un (autre) système extérieur, dont les changements peuvent venir perturber cette action. C’est précisément ce que le régulateur est appelé à empêcher (fig. 2). Lorsqu’une perturbation vient frapper le système régulé, ses caractéristiques sont captées par les récepteurs du régulateur et transmises à celui-ci après codage. Le régulateur est organisé de telle manière que, par ses organes effecteurs, il provoque au sein du système régulé les modifications nécessaires pour neutraliser les effets de la perturbation. Le thermostat, par exemple, doit maintenir dans une pièce (système régulé) une température telle que le thermomètre (système B de la figure 2) indique un nombre constant de degrés. Toutefois, la pièce peut subir l’influence de la température extérieure (système A). En fait d’organe récepteur, le thermostat (système régulateur) possède une «sonde thermométrique», par exemple un fil de platine dont la résistance électrique est fonction de la température; son organe de sortie est un radiateur électrique. Le signal d’entrée commande un contacteur branchant les résistances chauffantes. Notons, car c’est là une observation importante pour la suite, que la température obtenue dépend du réglage du thermostat: la finalité dépend de l’organisation du régulateur.

Plus la capacité du régulateur est grande, plus la régulation est efficace, puisque les ripostes seront mieux et plus rapidement assorties aux perturbations. En outre, les systèmes régulé et régulateur sont couplés en boucle. De cette manière, l’effet d’une première riposte, en apportant une modification dans le système régulé, peut déclencher une nouvelle alerte, et ainsi de suite, aussi longtemps que la perturbation n’est pas neutralisée. Le régulateur reçoit donc des signaux qui l’informent sur le résultat de son action. Par l’intermédiaire du système régulé, et donc indirectement, il est autocouplé. En plus du canal habituel qui véhicule les informations de l’entrée vers la sortie, un autre canal, dit de rétroaction ou de feed-back , les achemine de la sortie vers l’entrée. Ainsi, c’est le résultat qui guide l’action.

Ces principes s’appliquent parfaitement à l’organisme vivant. Il s’agit en effet d’un système autorégulé, composé d’un système régulé et d’un régulateur. La fonction de régulation est assurée par le système nerveux; les autres organes constituent le système régulé. Le cerveau possède des organes récepteurs répartis dans tout l’organisme, qui lui communiquent toute perturbation notable qui viendrait à en affecter l’intégrité, la position, la température, etc. Il possède également de très nombreux organes effecteurs, principalement sous forme de muscles et de glandes. Entre ces deux pôles se trouve le système nerveux central qui, en fonction des signaux d’entrée, sélectionne et commande la réponse appropriée. Sa capacité est limitée, mais le couplage est circulaire; ainsi, la riposte se poursuit aussi longtemps que la perturbation n’est pas neutralisée, tout en s’adaptant sans cesse à l’évolution de celle-ci.

4. L’autorégulation dans les systèmes vivants

À la lumière de ce qui précède, le schéma linéaire «stimulation-organisme-réaction», proposé au début de cet exposé, demande à être remplacé par un schéma circulaire, et plus complexe à divers titres.

Tout d’abord, en plus des récepteurs répartis dans l’organisme (milieu interne), le cerveau en possède d’autres qui lui procurent directement des informations en provenance du milieu externe (systèmes A et B): il s’agit principalement, dans l’espèce humaine, de la vue, de l’ouïe et de l’odorat – que Sherrington appelait les «récepteurs à distance». Il est de cette manière informé de l’approche d’une perturbation avant même qu’elle n’atteigne l’organisme, et il pourra lui opposer une riposte précurrente, pour autant qu’il possède une mémoire où puiser les éléments nécessaires à son interprétation. Il est par ailleurs à même d’exercer, par cette voie, un second contrôle de son activité, en examinant si l’action du système régulé sur le milieu correspond bien à la finalité qu’il poursuit; on songe, par exemple, au contrôle visuel d’un mouvement moteur ou au contrôle auditif de la phonation.

Une autre particularité est le couplage circulaire qui existe, d’une part entre le cerveau et ses organes récepteurs, d’autre part entre le cerveau et ses organes effecteurs. Le stimulus n’est pas reçu de manière passive, car les fibres afférentes sont contrôlées en retour par des fibres efférentes; songeons, par exemple, au rétrécissement pupillaire en présence d’une lumière intense, ou, en psychologie, à tous les phénomènes d’attention sélective. Quant à la réponse, elle est contrôlée par des fibres réafférentes, comme c’est le cas dans le contrôle kinesthésique de la marche. Cela signifie que des effecteurs sont enfouis au sein des récepteurs et réciproquement. Ainsi, le système central peut exercer une sorte de sélection sur les signaux qu’il reçoit, en même temps qu’il peut contrôler l’exécution correcte des ordres qu’il envoie.

Enfin, il faut noter que le système extérieur, qui est source de perturbation (système A), et celui sur lequel s’exerce l’action de l’organisme (système B) ne forment généralement qu’un seul et même système: l’environnement. Il s’établit ainsi un couplage circulaire entre l’organisme et son milieu, qui offre de nouvelles possibilités de contrôle par rétroaction. L’environnement se trouve, dans une certaine mesure, intégré dans le système régulé. L’organisme, par son comportement, modifie son milieu, et celui-ci, modifié en partie par l’action même de l’organisme, déclenche à son tour des actions nouvelles. L’organisme porte ainsi l’empreinte de son milieu en même temps que ce dernier (songeons aux sites urbains, et plus encore aux situations sociales) se transforme par l’action de l’organisme. La définition de la psychologie comme science des interactions entre l’organisme vivant et son milieu prend ici tout son sens.

Couplage en boucle entre le système nerveux central et ses organes récepteurs et effecteurs; couplage en boucle entre le système nerveux et le milieu interne; couplage en boucle entre l’organisme et son environnement: voilà le schéma devenu triplement circulaire (fig. 3), sans parler des innombrables canaux de rétroaction à l’intérieur du système nerveux central lui-même, et qui font plus particulièrement l’objet de la cybernétique neurophysiologique. Comme on le voit, la technique du contrôle par rétroaction est poussée fort loin dans les systèmes vivants.

En vertu de ce qui précède, on peut envisager le comportement comme un processus par lequel un système vivant se rapproche d’un critère. Encore faut-il définir ce dernier; il s’agit même là d’une question cruciale. Comme on l’a vu plus haut à propos du régulateur de température, l’état vers lequel évolue un système finalisé est déterminé par la structure et l’organisation du régulateur. Les systèmes vivants sont organisés en fonction de la conservation, de la croissance, de la reproduction; ce sont là des finalités biologiques fondamentales, transmises d’un individu à l’autre par le canal génétique. Mais sur celles-ci viennent s’en greffer nombre de nouvelles, en raison des transformations du système régulateur dues à sa mémoire. Que le cerveau soit doté d’une vaste mémoire signifie concrètement qu’il garde des traces laissées par des perturbations antérieures, les ripostes qui leur furent opposées et les résultats de ces dernières. C’est là une propriété dont l’importance peut être difficilement surestimée. En raison de la mémoire, l’organisation du système nerveux central évolue constamment; par conséquent, non seulement les ripostes peuvent devenir de plus en plus adéquates, notamment par la possibilité de développer des réponses précurrentes, mais, plus fondamentalement, la finalité même du système se modifie. Cette émergence incessante de finalités nouvelles, de nature sociale notamment, constitue évidemment une propriété qui ouvre d’immenses perspectives, spécialement chez les êtres vivants dits supérieurs.

5. Vers une cybernétique du comportement

Ébauchées déjà dans le premier ouvrage de Wiener sur la cybernétique, les conceptions théoriques dont on vient de tracer les grandes lignes ont mûri depuis les années soixante, et nourrissent de plus en plus la recherche expérimentale en psychologie. Recherche malaisée, car la complexité des processus comportementaux est considérable. Non seulement l’organisme vivant doit s’adapter à des perturbations incessantes et extrêmement variées, mais encore le fait-il en fonction de critères qui se modifient dans le même temps. Les questions évoquées ci-dessous ne sont naturellement pas exhaustives.

L’organisme vivant comme servomécanisme

Les premiers travaux expérimentaux dans lesquels l’organisme humain était explicitement conçu comme un servomécanisme utilisaient une situation dite de «poursuite». Il s’agit par exemple de tenir un stylet sur une cible mouvante. En comparant les signaux d’entrée et les signaux de sortie, et compte tenu de la précision, de la rapidité et de la périodicité des corrections effectuées, on tente d’établir une équation de transfert.

La périodicité des corrections mérite une attention particulière. On observe en effet qu’à un stimulus variant de façon continue et aléatoire les réponses sont faites par saccades, à la cadence de deux ou trois par seconde. Ce phénomène d’intermittence a pu être localisé dans les mécanismes centraux responsables du choix de la réponse, et a donné naissance, après des études très nombreuses, à la théorie dite «du canal central unique». D’après cette théorie, sur la base d’un ensemble d’informations sensorielles disponibles à un moment donné, les opérations de sélection d’une réponse adéquate se déclenchent; de nouvelles informations qui se présentent ensuite sont conservées dans une mémoire périphérique jusqu’au moment où l’unité de calcul est de nouveau disponible. Il existe donc, en quelque sorte, un «point de non-retour» dans la sélection d’une riposte; mécanisme indispensable, remarquons-le, pour défendre l’organisme contre l’intrusion incessante de signaux nouveaux qui viendraient retarder indéfiniment la sélection.

Une intermittence de deux à trois corrections par seconde ne s’observe que pour des modifications continues et aléatoires. Dans la mesure où le signal est prévisible, les décisions surviennent à intervalles plus espacés et portent sur l’exécution d’une tranche plus étendue de réponses. Par exemple, l’organisme est à même de suivre d’une manière non saccadée les évolutions d’une sinusoïde. Mais si des corrections s’imposent dans le cours du travail, on observe à nouveau qu’elles se font de manière saccadée et qu’elles ne se suivent jamais à des intervalles inférieurs au tiers de seconde. Il reste que des tâches plus ou moins prévisibles – et pratiquement toutes les tâches de la vie courante sont de ce type – n’occupent le canal central que durant une partie du temps. Il reste ainsi partiellement disponible pour d’autres tâches, pour autant que le nombre total de décisions par seconde (la charge décisionnelle) n’excède pas la cadence maximale. L’organisme est ainsi capable de mener de front plusieurs travaux, non pas exactement de façon simultanée, mais en passant constamment de l’un à l’autre, comme dans le time-sharing propre à certains types d’ordinateurs.

Le régulateur apparaît dans ce cas comme constitué d’un organe de calcul unique sélectionnant les ripostes de manière successive, doté d’une vaste mémoire et flanqué de multiples entrées et sorties pouvant, elles, fonctionner simultanément.

Cet état de choses ouvre la voie à une analyse des activités complexes en unités décisionnelles discrètes. Aussi l’attention s’est-elle davantage portée depuis sur l’étude du comportement unitaire, entendant par là, non plus l’arc réflexe comme on le faisait jadis en psychologie (mécanisme typiquement «aveugle» et linéaire), mais l’ajustementunité, c’est-à-dire la riposte de l’organisme au changement d’état d’une seule dimension du milieu, généralement externe.

Théorie de la décision

Trois questions principales sont au centre de la recherche concernant l’ajustement-unité. La première relève de l’informatique et concerne la capacité du régulateur, dont on a dit plus haut l’importance dans la régulation; elle peut se formuler ainsi: à combien de perturbations différentes le cerveau peut-il opposer des ripostes différentes? Pour y répondre, on fait varier les stimuli, et on demande d’associer à chaque stimulus une réponse différente, considérée comme adéquate; par exemple, on fait entendre des sons de diverses fréquences et on demande d’y assortir diverses réponses sous forme de nombres. L’observation montre que la capacité du régulateur est très basse dans de telles conditions, les stimuli ne pouvant être assortis sans erreur aux réponses appropriées qu’à la condition d’être très peu nombreux. Si la régulation est plus efficace dans la vie courante, c’est que les stimulations présentent généralement de nombreuses dimensions et font l’objet de plusieurs sélections.

Une deuxième question concerne le temps nécessaire au choix de la riposte appropriée. On a pu montrer qu’il est une fonction linéaire de la variété des stimuli exprimée par la formule de Shannon-Wiener, elle-même fonction linéaire du nombre de relais à mettre en jeu. Cela signifie que pour riposter à une perturbation, il faut d’autant plus de temps qu’elle était moins probable.

Une troisième question concerne le travail même de l’organe de calcul durant ce temps. Dans les régulateurs très élémentaires, à chaque signal d’entrée peut être associé d’avance un signal de sortie déterminé par rapport à une finalité fixée une fois pour toutes. Mais dans le cas d’un régulateur aussi complexe que le cerveau, la sélection du signal de sortie dépend aussi de l’information conservée dans la mémoire; elle fait alors l’objet d’une décision, c’est-à-dire d’un calcul d’optimum, dont l’étude fait précisément l’objet de la théorie de la décision, issue de celle des jeux. D’après cette théorie, le choix entre plusieurs comportements dépendra des «utilités» respectives, c’est-à-dire des profits et pertes escomptés (décision sans risque). Toutefois, le milieu présente pratiquement toujours des variables imparfaitement connues qui peuvent influencer ces utilités; par exemple, les diverses activités que l’on envisage pour le prochain week-end peuvent présenter des utilités qui dépendent du temps qu’il fera (décision sous risque). Une stratégie possible sera alors de maximiser l’espérance mathématique, c’est-à-dire la moyenne des utilités dans toutes les conditions possibles, pondérées par les probabilités que l’on attache à ces conditions. En quelques années, l’étude quantitative des mécanismes de décision s’est considérablement développée au sein des laboratoires de psychologie.

L’organisation interne de la mémoire

La réalisation d’un critère implique généralement que le cerveau coordonne un ensemble de décisions qui, bien qu’elles puissent apparaître comme successives dans leur exécution, sont organisées d’une manière hiérarchique. Par exemple, on peut décider de se rendre dans une ville voisine; mais, pour cela, il faut décider de sortir de sa maison, de prendre sa voiture, etc.; mais, pour sortir de sa maison, il faut décider de se diriger vers la porte, de l’ouvrir, etc. Il apparaît ainsi qu’un choix, effectué à un niveau donné d’organisation, devient immédiatement un critère par rapport auquel se coordonnent les choix du niveau inférieur; ainsi, la finalité découle elle-même d’une décision plus générale, et l’on peut remonter de la sorte jusqu’aux finalités inscrites dans la structure de l’espèce et, par là, dans l’évolution biologique. En outre, la plupart des comportements qui relèvent des niveaux inférieurs sont automatisés, c’est-à-dire que leur coordination est conservée dans des mémoires motrices. Choisir de se diriger vers la porte n’implique pas que l’on ait à s’occuper de coordination musculaire. Comme dans les ordinateurs, seul l’enchaînement des opérations doit être programmé, leur réalisation renvoyant à des «routines».
Cela revient à dire que la mémoire est faite d’un ensemble de «plans» ou «programmes», séquences d’opérations qui caractérisent les processus de traitement de l’information dans la gestion du comportement. Ainsi que le montre la figure 4, il faut concevoir un tel programme comme une suite d’«actions» contrôlées par des «tests» qui en assurent la guidance par rétroaction, de sorte que le plan se déroulera selon un canevas très souple, chaque pas étant fonction des résultats atteints dans les pas qui précèdent. Il faut considérer par ailleurs qu’un programme présente toujours une structure hiérarchisée; chaque pas, qu’il s’agisse d’une action ou d’un test, appelle un sous-programme (et les pas de celui-ci d’autres sous-programmes, le cas échéant), et le programme dans son ensemble sera lui-même un pas d’un programme plus vaste (fig. 4).

La mémoire permet aussi d’avoir accès à des informations utilisées dans le déroulement des plans. Selon des conceptions toujours débattues, ces informations seraient stockées sous une forme abstraite, propositionnelle (au sens logique: un prédicat accompagné d’arguments), encore que leur utilisation consciente nécessite vraisemblablement un codage sous forme verbale ou imagée. Ces informations concernent des éléments de l’expérience du sujet (mémoire «épisodique») ou des invariants tirés de cette expérience (mémoire «sémantique» ou «conceptuelle»), l’ensemble de ces catégories formant une grille de lecture au travers de laquelle l’expérience concrète s’organise.

6. Des perspectives nouvelles

En plus des questions nouvelles d’inspiration typiquement cybernétique, comme celles qui concernent la capacité du système nerveux central, l’information rétroactive, les processus de contrôle, la cybernétique a jeté une lumière neuve sur des problèmes classiques, tels ceux de la mémoire, de l’intelligence, de la personnalité, de la motivation. En fait, elle a permis une approche nouvelle du comportement dans ses multiples aspects, y compris leur développement phylogénique et ontogénique, ainsi que les différences interindividuelles. En redéfinissant la psychologie scientifique jusque dans son objet même, elle lui ouvrait des perspectives inattendues. Elle a été l’une des sources de la psychologie cognitive, qui, au-delà du comportement, cherche à élucider les processus mentaux dont le comportement est une manifestation.

Sur le plan des méthodes, la cybernétique apporte au psychologue le bénéfice de ses instruments mathématiques, qui lui sont rapidement devenus indispensables pour maîtriser la complexité des phénomènes observés. La «psychologie mathématique», qui a connu un essor vigoureux, lui doit beaucoup. Par ailleurs, la cybernétique engage le psychologue à expérimenter aussi sur des modèles. Comme il approche l’organisme à travers ses performances (attitude cybernétique s’il en est, liée au concept de la «boîte noire»), la démarche analogique lui est précieuse pour mettre à l’épreuve les théories qu’il avance, et l’invite du même coup à une plus grande hardiesse.

La conjonction des efforts des psychologues et des cybernéticiens ne peut manquer de fournir à l’homme des moyens accrus d’intervention. On songe à l’éducation, à l’ergonomie, science du couplage homme-machine, et à ses applications industrielles, mais aussi à la psychiatrie et à la psychopathologie.

Entre la psychologie ainsi conçue et la neurophysiologie, la frontière paraît quelquefois difficile à tracer. Les comportements qui utilisent, pour leur régulation, le canal de rétroaction formé par le milieu externe relèvent typiquement de la psychologie. Quoi qu’il en soit, psychologue et neurophysiologiste se trouvent engagés dans une aventure à maints égards fort semblable, et qui évoque un peu la situation de celui qui se verrait offrir un ordinateur sans notice explicative. Pour tenter de sortir de l’ignorance, deux voies sont possibles: examiner directement les rouages du système, ou en observer les performances et inférer à partir d’elles les principes de sa construction. Appliquées au système nerveux, la première méthode est celle du neurophysiologiste, la seconde celle du psychologue. Le premier approche le cerveau par le «matériel», le second par le «logiciel»; ils sont complémentaires et doivent s’éclairer mutuellement.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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